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actu de la semaine

Les gros paysans manifestent contre les petits paysans !

23 Novembre 2013 , Rédigé par Daniel Lenoir Publié dans #actu de la semaine

C'est ce que, de manière à peine caricaturale, nous pourrions dire des événements qui ont marqué le milieu de cette semaine autour de la capitale.

Nous avons assisté en effet, à des démonstrations de corporatisme exacerbé au point de voir les agriculteurs céréaliers, s'opposer, contre l'avis même de leur syndicat national, à une modeste redistribution des aides de la Politique agricole commune (PAC) en faveur de leurs collègues éleveurs.

Rares sont les professions aussi protectrices de leurs propres intérêts. Ils ne sont pourtant pas sur la paille, les céréaliers Français. L'histoire de la PAC a fait d'eux, les principaux bénéficiaires des aides Européennes. Il faut dire qu'étant à peu près tous installés autour de Paris et suffisamment organisés en lobbys, ils n'avaient pas eu de difficultés à tordre le bras des négociateurs de Bruxelles et de Paris lors de la mise en place des droits à paiement unique (DUP) pour leur garantir une subvention dite "compensatrice", versée à l'hectare et sans limites de surface.

Ces primes annuelles correspondaient à l'origine à une compensation sensée couvrir la baisse des prix des produits, en l’occurrence, des céréales, au moment où l'Europe cessait son soutien aux prix agricoles.

En règle générale, le montant des aides représentait entre 300 et 350 € par hectare. Cerise sur le gâteau des céréaliers Beaucerons, ce montant était supérieur au montant attribué à toutes les autres régions du pays. En effet produisant plus de quintaux à l'hectare dans les secteurs de plaines, ils arguaient du fait que la disparition des soutiens aux prix, les impactait plus qu'ailleurs... CQFD !

Les évolutions de la PAC qui ont suivi, ont toutes confirmé ces dispositions. C'est peut-être ce que l'on appelle chez d'autres catégories : "le maintien des avantages acquis ?".

Pourtant, les choses ont bien changé au fil du temps. D'une période de pénurie de céréales à l'échelle mondiale, qui engendrait des prix bas, nous sommes passés à une période beaucoup plus tendue à cause, à la fois de difficultés climatiques de certaines régions du monde et d'une arrivée sur le marché, d'acheteurs des pays émergents. Le cours des céréales a donc connu des fluctuations à la hausse qui ont pu, dans certains cas d'ailleurs, créer de réelles difficultés allant jusqu'à des "émeutes de la faim" dont vous avez sans doute entendu parler. La spéculation s'est également installée sur ce secteur alimentaire et nous avons connu des périodes de folie où les céréales pouvaient changer de mains en quelques clics, sans quitter leur silo. Le summum étant la vente de la récolte avant même que la parcelle soit semée...

En toute logique, ce retournement de tendance du marché des céréales aurait du avoir pour conséquence au moins une re-discussion des soutiens publics, puisqu'ils n'étaient plus justifiés de la même manière. Mais, alors que de nombreuses voix s'élevaient, quelque soient les tendances syndicales, chez les éleveurs qui subissaient de plein fouet l'augmentation du prix des aliments du bétail, pour une nouvelle répartition des aides Européennes, les lobbys céréaliers faisaient barrage à toute négociation.

Mais l'Europe a évolué. La France y occupe certes une place prépondérante sur le plan agricole, mais d'autres pays sont venus et la position de statut quo devenait impossible, tant elle apparaissait aux yeux de tous, comme une injustice et une gabegie d'argent public en direction d'une catégorie d'agriculteurs qui ne donnaient pas l'impression d'être dans le besoin.

Les négociations de la PAC ont donc abouti à une refonte du mode de redistribution des aides qui favorise un peu plus les éleveurs. Et puisqu'il n'était pas concevable que cela se fasse en augmentant le budget agricole déjà considérable (près de 50 milliards d'euros chaque année sur les 145 milliards du budget Européen), il a fallu réduire la part des céréaliers. Précision supplémentaire, la France qui reçoit de l'ordre de 14 à 15 milliards chaque année de l'Europe en consacre plus de 9 milliards à l'agriculture et il est courant d'entendre que plus de 70 % de ces 9 milliards sont "captés" par les 30 % d'agriculteurs des plus gros.

Ce qu'a fait l'Europe n'est donc que justice. Et je fais partie de ceux qui disent qu'il était grand temps que cela bouge.

Voilà pourquoi ces démonstrations de force des agriculteurs avec des tracteurs et des engins dont le prix dépasse souvent celui de vos maisons, me paraissent indécentes. Elles le sont d'autant plus qu'au même moment, de nombreux Français connaissent des difficultés autrement plus importantes. Pour eux, le question n'est pas de savoir s'ils vont pouvoir acheter un appartement de plus, mais tout simplement, s'ils vont pouvoir payer leur loyer.

De plus un accident mortel est venu compléter le discrédit de ces actions auprès de la population. Certains mayennais, peut-être insomniaques et sans doute embarrassés avec leurs vieux pneus, ont cru bon, malgré l'impopularité évidente, de relier ces coups de force devant la Préfecture. Difficile de faire mieux pour se tirer une balle dans le pied dans un pays d'élevage. Heureusement, ils n'étaient pas nombreux !

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